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Une denrée rare

Grand fut mon désarroi quand j’ai appris une nouvelle inhabituelle. Aussi grand qu’éphémère, c’est dire s’il fut grand : la chose se passait mardi dernier, un jour a priori comme les autres. Le matin. Alors que j’étais assis sur ma chaise, sur mon lieu de travail. Bref, rien que de très banal. Sauf que ce matin là, j’ai réalisé que quelques heures plus tard, dans l’après-midi du même jour, j’aurai une chose que je n’ai pas eue depuis… des temps immémoriaux. Du temps libre.

À ce stade une petite digression s’impose : du temps libre, qu’est-ce que c’est ? Dans l’expression “temps libre”, il y a deux mots. Le premier est “temps”. Ce qu’il veut dire fondamentalement, c’était le sujet de ma première dissertation de philo, je m’en souviens presque comme si c’était hier. D’ailleurs, je me souviens aussi que je n’avais pas vraiment réussi à conclure, ou plutôt j’avais conclus que le sujet était impossible à conclure¹. Dans mon souvenir j’avais eu une bonne note, après tout dans notre société de profit matérialiste c’est tout ce qui compte. Dissertation rentable, donc. Mais je dérape².

Deuxième mot : libre. Quand il s’agit de temps, le qualifier de libre, ça veut dire qu’il serait à moi, rien qu’à moi, sans contrainte, sans personne pour me solliciter à ce moment là, sans obligation. Que je pourrai faire ce que je voulais pendant cette période. A ma guise. Personne à satisfaire, juste moi, moi et moi (en tête à tête quand même parce-que c’est plus intéressant, après tout !).

Immédiatement, cédant la place au désarroi, l’euphorie. Éphémère aussi, tant pis, elle ne dura que le temps qu’arrive une multitude de projets pour occuper au mieux cette bouffée d’oxygène dans un emploi du temps au bord de l’asphyxie. Projets aussi variés que : cuisiner (j’avais de la citrouille, du beurre et de la farine, tout ce qu’il faut pour faire une tarte), me reposer (j’ai toujours envie de me faire une petite sieste dans l’après-midi), faire des courses (Noël approche, et j’ai aussi parfois quelques besoins alimentaires), faire du ménage (j’ai pas réussi à le caser le week-end dernier, pas eu le temps…) et / ou de la lessive (même remarque).

Las, à peine entamé l’après-midi de liberté qui m’était promis, à peine goûté le fruit savoureux d’un temps à moi, à peine effleuré cette période bénie, la voilà déjà enfuie et me revoilà à la bourre, en-train de courir après un métro pour arriver en retard à un rendez-vous placé fort inopportunément au bout de cet espace de liberté. Morbleu³ ! Y arriverai-je jamais ? Bon, pour mardi dernier, c’est raté. Par contre, pour demain matin, il m’arrive quelque chose de complètement inhabituel. Demain matin, dans quelques petites heures maintenant, j’aurai une chose que je n’ai pas eue depuis… des temps immémoriaux. Du temps libre.

1. par exemple : est-ce qu’il y a un point commun entre les 2 minutes passées à attendre un train qui est en retard alors que vous l’êtes encore plus et les 2 minutes passées dans les bras d’une personne aimée juste avant une séparation qu’on sait longue ? [↩]
2. c’est de saison, après tout [↩]
3. je sais pas pourquoi j’aime beaucoup ce juron actuellement [↩]